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Guides de Madobak

Le 20 mai 2007,

Tout le monde a dormi dans la même pièce, comme d’habitude. Les mariés ont eu peu d’intimité pour leur nuit de noce du coup… Nous nous réveillons en entendant les bruits de hache briser la colonne vertébrale d’un porc. Ca y est, ils recommencent dès l’aube… Ils ne s’arrêtent donc jamais ? Heureusement, ils ne m’empêchent pas de savourer mon petit-déjeuner cette fois. Je regarde juste ailleurs pendant que je mange en essayant d’ignorer l’odeur qui s’insinue dans mes narines.

L’heure du départ approche, nous partons pour une bonne marche de trois heures jusqu’au plus grand village mentawaï : Mabobak. Le voisin de nos hôtes veut me garder avec eux tandis que Michaël repartirait seul en France. Michaël lui demande combien je vaux en cochons et en arbres à sagu et le vieux répond qu’il doit me laisser en contrepartie d’une photo que Michaël a prise de lui ! Cet échange fait bien rire l’assemblée qui nous écoute ! Nous disons au revoir à nos hôtes si gentils bien que peu ragoûtants, mélangeant la tristesse de les quitter et le soulagement de ne plus vivre dans des conditions d’hygiène auxquelles nous ne sommes pas habitués.

La marche est longue et difficile. Avancer dans la gadoue est un exercice fatiguant, surtout lorsqu’on s’enfonce certaines fois jusqu’aux genoux ! Nos chaussures ne sont plus qu’un tas de boue glissant qui nous font chuter plus d’une fois. Nous devons marcher sur des troncs d’arbre afin de ne pas s’enfoncer dans l’eau marécageuse jusqu’à la taille, mais lorsque les rondins de bois roulent sous nos pieds, nous avons bien du mal à ne pas tomber. Parfois, nous devons franchir un fossé voire un ravin, debout, sur un tronc d’arbre, tels des équilibristes. Michaël nous fait une belle frayeur lorsque le rondin sur lequel il avance à petits pas, casse net sous son poids et qu’il tombe dans la rivière en contrebas. Heureusement, il n’a pas chuté de très haut… Bref, notre avancée est longue et fastidieuse. Et dire que nous avons payé pour être là ! Il faut être fou… Alors que nous sommes en pleine forêt, au milieu de nulle part, nous croisons un homme qui se trouve être le beau-frère de Korne… Alors là, Michaël et moi hallucinons de croiser un membre de sa famille dans ce coin aussi paumé…

Enfin, nous arrivons au village de Madobak après trois bonnes heures de marche éreintante. Mes chaussures sont remplies d’eau, je dois porter une fois et demi mon poids avec ces trucs aux pieds ! Korne nous demande si nous voulons rester dans ce village pour cette nuit ou bien repartir pour trois heures de marche cet après-midi. Pour Michaël et moi, c’est vite vu : nous restons là cette nuit. Korne nous emmène dans la maison de sa belle famille qui nous accueille très gentiment. Ils sont tous habillés en Occidentaux ici, ils ont l’air d’avoir perdu leur tradition vestimentaire. La maison ressemble plus également à ce que nous avons l’habitude de voir. Une pièce commune où tout le monde mange par terre sur une paillasse, une cuisine au fond et des pièces séparées pour les chambres. Nous avons même notre chambre à nous ! Bon, il faut toujours dormir par terre à même le sol… La maison est fermée par des portes contrairement à la uma que nous avons quittée ce matin. Globalement, la maisonnette a l’air plus propre (enfin, tout est relatif…) et l’hygiène plus présente.

Après avoir déjeuné avidement et nous être gavés de fruits, nous n’avons qu’une hâte : partir nous décrasser à la rivière. Des enfants nous montrent le chemin jusqu’au bain naturel, mais nous avons ensuite toutes les peines du monde à les faire partir. Tandis que je me baigne dans la rivière, Michaël est obligé de faire le vigile afin de faire fuir les curieux qui veulent se rincer l’œil. Une blanche se baignant nue dans la rivière ne doit certes pas leur arriver tous les jours ici, mais bon… Un peu d’intimité de temps en temps, c’est sympa aussi ! Ils font de même lorsque Michaël se baigne à son tour. Ca doit être les poils qui les intriguent chez lui. C’est vrai que les Asiatiques sont quasiment imberbes et ils trouvent que Michaël ressemble un peu à un singe avec sa barbe de quatre semaines et ses poils sur le torse ! Tout d’un coup, le tonnerre gronde et la pluie commence à déferler sur nous. Nous rangeons toutes nos affaires en hâte, mais tout est trempé en moins de deux minutes. Nous courons nous réfugier dans la maisonnette, dégoulinants d’eau. Nous sommes exténués Michaël et moi et décidons de faire une petite sieste dans la pièce réservée pour nous.

Une fois réveillés, nous partons faire un petit tour dans le village. Une horde d’enfants nous suit en riant et criant. Nous sommes surpris de croiser des filles voilées également. Je croyais que les Mentawaïs étaient tous chrétiens. Visiblement, le gouvernement a tenté une mixité de la population ici aussi. Ce village conserve tout de même son église, une grande bâtisse en bois munie de bancs, d’une grande croix et d’un tableau noir. L’électricité est acheminée ici, sûrement grâce à un groupe électrogène et permet aux habitants de s’éclairer la nuit aux néons. Les enfants vont tous à l’école, contrairement aux habitants restant seuls dans la forêt. Avant, il n’existait pas de village comme celui-ci. Chaque famille mentawaï vivait en autarcie mais ne voulait pas se mélanger avec les voisins. Finalement, dans un but de rapprochement et d’entraide, les familles se sont regroupées. Cela a également permis la construction d’une école afin que les jeunes puissent s’instruire. Ils se sont vite aperçus que l’éducation était importante pour combattre les gens extérieurs qui essaient toujours de profiter des peuples peu instruits. L’école est un moyen de combattre les abus du gouvernement indonésien.

Nous croisons plusieurs villageois qui veulent tous essayer leurs quelques mots d’anglais avec nous. Nous rencontrons également un guide anglophone qui souhaite que nous venions chez lui pour discuter. Nous acceptons l’invitation avec plaisir. Nous parlons de Korne, notre guide, à notre nouvel ami, mais visiblement il ne l’aime pas beaucoup… Il nous dit qu’i n’est pas toujours honnête avec les locaux, ne leur donnant pas toujours l’argent promis. Nous ne savons plus sur quel pied danser avec tout ça. Il critique ouvertement notre guide en nous faisant comprendre que lui serait bien meilleur que Korne. C’est vrai qu’il a l’air plus bavard et nous parle de la culture mentawaï et de ses légendes mieux que notre guide. Mais tout le monde a l’air de plus ou moins se tirer dans les pattes, à partir du moment où les gens font partie de clans différents. Je crois qu’ils ont simplement des méthodes différentes, ni pires, ni meilleures.

En fait, si on souhaite partir avec un guide mentawaï anglophone, il n’y a que Korne qui se trouve dans le village à la sortie du ferry. Sinon, il faut demander un bateau à Madobak qui s’y rend en trois heures. Il y a plusieurs guides mentawaïs qui savent parler anglais dans ce village et nous avons eu un bon contact avec Sarul, l’un d’entre eux. Sarul nous parle de Gilles, le guide français que nous avons croisé à Siberut : personne ne l’aime ici. Il nous raconte que lors d’un tournage d’un film à Siberut, l’équipe a eu besoin de 240 porteurs. Une fois l’expédition terminée, Gilles n’a pas voulu payer la totalité du salaire qu’ils avaient convenu avant de partir, prétextant que c’était trop cher. Lorsque les 240 porteurs ont commencé à s’énerver contre lui, le menaçant physiquement, il a consenti à payer son dû. Les gens du tournage ont eu peur que ça ne tourne en émeute… En tous cas, Gilles n’est plus le bienvenu à Madobak ! C’est vrai que ce qu’il a fait n’est vraiment pas juste envers la population locale. En plus, porter du matériel lourd ici alors que les sentiers ne sont plus que gadoue, n’a rien d’une partie de plaisir !

Il nous raconte aussi la légende de l’arbre à sagu que voici : Un petit enfant pleure auprès de son père jour et nuit afin d’avoir à manger. Il veut du sagu. Le père lui répète qu’il ne sait pas ce qu’est du sagu et qu’il n’en a pas. Un jour, le père ne supportant plus ses jérémiades, jette son fils hors de la maison. Quand il va le chercher le lendemain, il n’est plus là. Il a beau le chercher partout, il ne le trouve pas. A la place, un arbre a poussé. Alors, la voix de l’enfant s’élève de l’arbre en lui disant qu’il est mort de faim à cet endroit et qu’il s’est transformé en arbre à sagu. Le fils dit à son père qu’il peut le manger et qu’il n’aura plus jamais faim. Voici comment le sagu est apparu sur terre. C’est une belle histoire, j’aime les légendes anciennes.

Nous quittons ensuite nos amis afin de retourner auprès de notre guide Korne qui nous a préparé à dîner. Il n’est pas très enclin au bavardage ce soir, ça nous fait drôle après avoir discuté pendant plus d’une heure avec l’autre guide Sarul. Nous sommes fatigués de toute façon, nous ne tardons pas à aller nous coucher.

Eve-Laure

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