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Préparation du sagu et négociation des deux familles pour le mariage

Le 18 mai 2007,

Les Mentawaïs ne dorment quasiment pas, c’est incroyable ! Nous nous couchons les premiers et sommes les derniers réveillés ce matin (en encore, avec bien du mal…). Nous petit déjeunons rapidement, Korne veut nous emmener à l’endroit où le sagu est fabriqué. Mais les pancakes ont du mal à passer à cause du poulet qu’on est en train d’égorger à deux mètres de moi… La vue des viscères sanguinolentes me coupent un peu l’appétit !

Nous partons dans la forêt, marchant de nouveau dans la boue jusqu’aux chevilles, vers une autre uma (maison familiale). Une fois arrivés, plusieurs femmes et une multitude d’enfants nous accueillent chaleureusement chez eux .Les hommes ne sont pas présents, ils doivent se trouver en forêt. Un gros tronc d’arbre trône au milieu de la pièce. Korne nous montre comment le sagu est récolté à partir de ce tronc. La texture de l’arbre est très friable et il suffit, avec une grande planche dans laquelle est plantée une rangée de clous, de râper l’arbre en se sevrant de cet outil comme d’une scie, maniée par deux personnes, chacune d’un côté du tronc d’arbre. L’exercice n’est pas très difficile bien qu’un peu fatiguant à la longue… Michaël et moi nous prêtons à la tâche avec plaisir. Michaël réussit même, avec sa force herculéenne, à casser le manche de l’espèce de scie ! Pas de souci nous assure-t-on et une autre nous est aussitôt prêtée. De la sciure de bois nous recouvre les pieds et les jambes, nous finissons quasiment l’arbre de cette façon. La sciure est ensuite transportée dans des paniers en osier puis déversée dans un grand bac en bois situé au-dessus d’une source d’eau. De l’eau est puisée et déversée dans le grand bac. Un grand tamis permet de ne laisser passer que la poudre et non les fibres. Le sagu est prêt à être cuit dans de grandes feuilles puis mangé comme accompagnement au plat.

Nous admirons ensuite les enfants sauter et jouer dans l’eau marécageuse se trouvant à côté de leur maison. Ils veulent tous nous montrer leurs exploits dans l’eau et c’est à celui qui fera la plus belle pirouette pour nous épater. Les filles restent plus sages et se contentent de danser et de chanter tout en pouffant de rire lorsqu’on les regarde ! Une fois revenus dans leur uma, nous admirons leurs trophées crâniens de porcs accrochés au-dessus de leur porte. Il y en a beaucoup plus ici que « chez nous », ça signifie que cette famille est plus riche que la nôtre ! Tout d’un coup, une odeur absolument pestilentielle nous prend à la gorge. Même les enfants se bouchent le nez de dégoût ! Nous voyons alors un homme arriver, portant sur son dos un énorme cochon visiblement mort depuis plusieurs jours, vu son état de décomposition avancé. Korne nous explique que le chef de famille l’a trouvé mort dans la forêt, peut-être tué par un serpent. Pas de souci pour eux, le père commence à le découper, ils le mangeront en famille ce soir ! Personnellement, pour rien au monde je n’aimerais avaler, ne serait-ce qu’une bouchée, de cette immonde créature puante en décomposition…

Nous disons ensuite au revoir à tout ce petit monde puis reprenons le chemin du retour dans notre famille. Une fois revenus, nous sentons une certaine tension régnée dans la grande hutte familiale. Les beaux-parents vont arriver d’un moment à l’autre et la dure négociation va commencer. Tonton chaman, comme nous l’avons surnommé Michaël et moi, me demande l’heure toutes les demi-heures. Le chef de famille n’en mène pas large et a l’air terriblement anxieux. Enfin, vers 11h, une escorte d’hommes fleurs, habillés de façon traditionnelle, avec soit une fleur, soit un brin d’herbe coincé dans leur diadème, se présente dans la uma de notre hôte. Les femmes sont reléguées à la cuisine avec leurs enfants et Michaël et moi sommes invités à rester assis au fond de la pièce avec le futur marié pour ne pas déranger le grand concile. La future mariée n’est même pas conviée…

Les hommes concernés s’assoient par terre, en rond, au centre de la pièce et la négociation commence. Nous ne comprenons évidemment pas un traître mot de ce qu’ils se racontent mais l’heure a l’air grave. Le ciel s’assombrit, on ne distingue plus que les contours des corps à demi nus des Mentawaïs à la peau mate et noircie par le soleil. Au bout de deux heures de discussion et bien après l’arrivée de la pluie, ils ont enfin réussi à se mettre d’accord. Ils tablent sur l’équivalent de 20 millions de roupies en équivalent en porcs, poulets, arbres à durians et arbres à sagu. Ils font venir les mariés au centre de la pièce et l’un d’eux leur parle avec emphase et sérieux. Ils s’en vont ensuite tous comme ils sont venus : dignes et silencieux. Ils ont apporté des poulets et deux cochons de lait qu’ils nous laissent en guise de cadeaux et repartent avec des casseroles et autres ustensiles de cuisine en échange. Je comprends pourquoi ils sont venus aussi nombreux à présent, il fallait du monde pour porter tout ce bazar !

Nous assistons à présent à la mise à mort des porcs et des poulets. Les enfants s’occupent des poulets en leur cassant le cou, tout heureux de la responsabilité qui les incombe… Vient le tour des cochons et là je comprends tout le sens du proverbe « gueuler comme un porc qu’on égorge »… Les hurlements des cochons sont ignobles et très stridents. Ils sont égorgés lentement afin que l’animal se vide de son sang avant de mourir (la viande est meilleure de cette façon). Je ne préfère pas regarder… Le sang est récupéré dans une bassine. Ils ouvrent ensuite le porc et récupèrent toutes les entrailles de l’animal. Les enfants jouent avec les viscères trempant dans le sang. C’est jour de fête pour eux, ils n’ont pas tous les jours de la viande à manger !

Ils vont ensuite laver les intestins dans la rivière, puis ils mettent la carcasse du cochon sur le feu dans la nouvelle cuisine fraîchement construite à cet effet, afin de lui brûler les poils. Ils vont ensuite le laver à la rivière afin d’enlever les restes de poils carbonisés, puis le dépècent et le découpent cru en petits morceaux, tranchant dans le lard. Ils font bouillir le tout, mélangeant poulet et porc, entrailles et intestins, le tout à la sauce sang, dans une grande marmite. Quel gâchis pour nous Occidentaux ! De si belles bêtes gâchées par une préparation barbare. Nous pensons à tous les bons morceaux que ce cochon aurait pu nous donner, mais là, tout est mélangé en une immonde bouillie de viscères… J’avoue que ça m’écoeure un peu tout ça… Du sang jonche le plancher, ainsi que des bouts d’abats dans lesquels tout le monde piétinent abondamment.

Une fois les bêtes cuitent, ils font le tri dans tous les morceaux du cochon et du poulet afin de partager équitablement entre tous les convives. Mais de voir encore tout ce sang traîner partout ne m’ouvre pas du tout l’appétit, surtout qu’on a mangé il y a deux heures à peine. Je me vois donc dans l’obligation de refuser poliment leur offre de porc bouilli. Ils ne s’en offusquent pas et dégustent avec bonheur leur part du festin. En tous cas, ça fait plaisir de les voir manger, ils ont l’air tellement heureux !

Nous discutons ensuite avec quelques Mentawaïs qui baragouinent quelques mots d’anglais. Les questions d’usage nous sont posés du style « Etes-vous mariés ? ». Depuis qu’on voyage en Asie, Michaël et moi avons pris l’habitude de nous présenter en tant que mari et femme même si ce n’est pas le cas. C’est plus simple au niveau des formalités d’usage. De plus, pour les Asiatiques, il est assez incompréhensible de vivre ensemble sans être mariés… Par contre, lorsque nous leur apprenons que nous n’avons pas d’enfant, les Mentawaïs regardent Michaël avec effarement en lui disant qu’il n’est peut-être pas assez fort pour en faire (sous-entendu impuissant) ! Les Mentawaïs ne conçoivent pas qu’on ne souhaite pas avoir d’enfants tout de suite et pensent naturellement que si nous n’en avons pas, c’est que nous avons un problème physique à ce propos-là.

Le reste de l’après-midi passe très lentement. Korne n’a rien prévu pour nous et les hôtes s’occupent de leurs convives venus de loin, sans nous prêter vraiment attention (ce qui est tout à fait normal à la veille d’un événement aussi important). Mais du coup, nous nous ennuyons un peu Michaël et moi. Nous ne pouvons pas sortir, il pleut dehors. A l’intérieur, la fumée de cigarettes devient irrespirable. J’espérais interagir un peu plus avec les hommes fleurs durant cette excursion, mais la barrière de la langue reste un fâcheux obstacle. De plus, ils sont, en ce moment, bien plus soucieux du bon déroulement de leur festivité, plutôt que de deux touristes blancs ! Nous nous occupons comme nous pouvons tout en ayant hâte d’être à demain, le jour du mariage. Au moins, il y aura de l’animation et de quoi s’occuper !

Eve-Laure

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