Accueil > Tour du monde > Carnet de route > La Bolivie > L’enfer des mines de Potosi
L’enfer des mines de Potosi

Le 26 août 2005,

Déguisés, nous sommes prêts pour la visite
Déguisés, nous sommes prêts pour la visite

Nous avons rendez-vous à 8h ce matin devant une agence qui va nous emmener « visiter » les célèbres mines de Potosi ; Nous avons un mal fou à trouver un café ouvert qui sert le petit déjeuner... Les Boliviens ne sont décidément pas des lève-tôt !

Une fois rassasiés, nous partons en minibus de l’agence chercher notre équipement de mineur... Eh oui, nous avons droit à tout l’attirail : bottes en caoutchouc, pantalon et vestes imperméables ainsi que le casque équipé d’une lampe frontale ! Nous avons vraiment un drôle d’air avec tout ça... Notre guide nous emmène ensuite au marché des mineurs afin que nous achetions de petites choses à offrir aux travailleurs des mines. Il nous propose d’acheter de la dynamite, des sodas ou de l’alcool buvable à 96° !! Cette boisson leur permet de mieux supporter leur difficile condition de vie...

Je ne peux toutefois pas me résoudre à leur acheter de l’alcool aussi fort... Nous nous contentons donc de dynamite et de sodas.

Notre guide nous donne des explications sur la dynamite
Notre guide nous donne des explications sur la dynamite

Les mineurs travaillent pour eux-mêmes et se servent d’explosifs et d’outils qu’ils achètent, y compris les lampes à acétylène qui leur permettent de déceler les poches mortelles de monoxyde de carbone.

Nous passons ensuite au stand qui vend des feuilles de coca. Nous en prenons un gros paquet pour nous et pour en donner aux mineurs. Les jeunes gens se préparent à leur journée de travail sous terre en mâchant ensemble de la coca pendant plusieurs heures. Ces feuilles leur servent de coupe-faim et leur permettent de mieux respirer dans ces profondeurs infernales. Ils déjeunent vers 14h, puis font la sieste et mâchent encore de la coca pour tenir jusqu’au soir. Ceux qui ne passent pas la nuit à travailler s’arrêtent à 19h. Le week-end, chaque mineur vend la production de la semaine en essayant de négocier son prix au plus fort... Quelle vie de forçat ! Le travail est entièrement effectué à l’aide d’outils archaïques et à des températures souterraines allant de 0°C, car l’altitude dépasse 4200m, à 45°C aux 4ème et 5ème niveaux !! Exposés à toutes sortes de produits chimiques et de gaz nocifs, les mineurs meurent souvent de silicose 10 à 15 ans après leur 1er séjour à la mine... Les conditions de travail de nos jours relèvent du Moyen-Age !

Oui, à 96 degrés, c’est potable...
Oui, à 96 degrés, c’est potable...

La première partie de notre visite se passe dans l’usine de traitement du minerai pour en extraire le zinc et l’argent. Nous sommes contents d’apprendre que le mercure n’est plus utilisé à cause du danger qu’il engendre sur toutes les personnes qui le manipulent directement. A la place, de l’arsenic et autres substances chimiques dilués dans une solution de minerai broyé permettent, grâce à une réaction, de faire remonter le zinc et l’argent sous forme de bulles à la surface. Nous nous promenons à travers toutes ces substances nocives sans aucune protection... Les conditions de sécurité sont optimales ! Mieux vaut éviter de tomber dans un bassin rempli d’arsenic !

Le zinc et l’argent remontent à la surface sous forme de bulles
Le zinc et l’argent remontent à la surface sous forme de bulles

Notre guide nous apprend que la capacité des mines diminue à grande vitesse et n’a plus qu’une espérance de vie de 15 ans... Ensuite, ils comptent traiter les déchets de la mine avec de nouvelles technologies pour en extraire le minerai résiduel, ce qui augmente la durée de vie de 30 ans supplémentaires, mais sans garantir le travail aux mineurs actuels. Selon notre guide, la ville de Potosi est consciente du problème et pense à leur reconversion, notamment dans le tourisme, ce qui n’est pas plus mal, vu leurs conditions de travail que nous n’allons pas tarder à découvrir !

Prête à rentrer ?
Prête à rentrer ?

Nous arrivons ensuite devant la fameuse colline surplombant la ville de Potosi, qui serait remplie de précieux minerais. On ne dirait pas, vu de l’extérieur, qu’elle est parsemée de trous et de galeries comme un gruyère ! Nous nous regroupons tous devant la minuscule entrée de la mine... C’est par ce petit trou que nous allons pénétrer à l’intérieur ? Il n’est vraiment pas large... Soudain, notre guide nous crie de nous pousser et nous voyons débarquer deux jeunes mineurs, l’un poussant et l’autre tirant un chariot rempli de pierres ! Ils suent à grosses gouttes, ce chariot doit peser dans les 2 tonnes... Je me sens un peu mal à l’aise de les regarder ainsi, comme des bêtes curieuses, alors qu’ils effectuent un travail de forçat ! Le guide nous assure que les touristes ne les gênent pas dans leur travail et qu’ils sont plutôt contents de recevoir les petits cadeaux que nous leur offrons...

Nous pénétrons ensuite, un par un, dans les profondeurs infernales de la mine... Les galeries sont tellement exiguës que nous sommes obligés d’avancer les uns derrière les autres, nous accroupissant quelquefois pour pouvoir passer ! Il fait vraiment noir à l’intérieur, nos lampes sont plus qu’utiles !

Offrandes au diable, maître des lieux
Offrandes au diable, maître des lieux

Et dire qu’auparavant certains esclaves travaillaient dans la mine durant 6 mois d’affilée sans jamais voir la lumière du jour !! C’est horrible d’imaginer qu’une telle chose ait pu se produire ici... Il y a 500 ans environ, les Espagnols se sont approprié cette mine et ont fait tout d’abord travailler les Indiens des environs comme des esclaves. Voyant que les effectifs étaient insuffisants, entre autre à cause des précoces décès des travailleurs dus aux horribles conditions dans lesquelles ils vivaient, les Espagnols sont allés chercher des milliers d’Africains et les ont ramenés ici, afin d’augmenter le nombre des travailleurs dans les mines... Au total, quelque 8 millions d’esclaves, soit la population actuelle du pays, sont morts dans cette mine !! Quelle atrocité !

Nous nous arrêtons dans une vaste pièce, à l’intérieur même de la mine, reconvertie en musée. Nous pouvons y voir des affiches vendant des esclaves Noirs en pleine santé pour les besoins de la mine... Une surprenante sculpture de diable est aussi vénérée dans ces ténèbres...

Les mineurs poussent des chariots de plus de deux tonnes !
Les mineurs poussent des chariots de plus de deux tonnes !

En effet, les mineurs lui font des offrandes comme de la coca, des cigarettes ou du whisky en le suppliant de les protéger dans leur enfer quotidien qu’est la mine... C’est étrange de voir tous ces travailleurs vénérer le Diable ! Pour eux, il paraît plus normal de s’adresser au maître du royaume d’Hadès qu’à Dieu !

Nous continuons ensuite notre descente dans ces noires galeries. Plusieurs touristes préfèrent rebrousser chemin, pris de claustrophobie... Je pensais aussi souffrir de cette anxiété, mais pour l’instant tout va bien pour moi. Donc je continue ! Les feuilles de coca que je chique depuis plus d’une heure doivent également m’aider à mieux respirer dans cette poussière.

Un mineur, la joue gonflée de feuilles de coca
Un mineur, la joue gonflée de feuilles de coca

Régulièrement, nous devons laisser la place à un chariot plein ou vide, selon les cas, qui déboule à toute allure sur nous ! Nous descendons de plus en plus profondément dans les entrailles de la terre, la température grimpant de plusieurs degrés au fur et à mesure de notre descente. Au 4ème niveau, il ne doit pas faire loin des 40°C ! Nous étouffons là-dedans ! J’ai déjà du mal à me déplacer alors que les mineurs doivent travailler dans cet enfer ! Nous faisons la connaissance de 3 jeunes hommes qui chargent à la pelle de grands paniers qui sont ensuite remontés par un système de poulies à travers une étroite cheminée. Le plus jeune d’entre eux n’a pas plus de 14 ans...

Remplissage de sacs destinés à être remontées par une cheminées
Remplissage de sacs destinés à être remontées par une cheminées

Notre guide nous présente ensuite un autre mineur, plus âgé, qui s’occupe tout seul de creuser une galerie avec une pioche et de la dynamite... Sa galerie est si étroite qu’on ne peut y tenir qu’à quatre pattes ! Et il doit souvent faire des pauses dans des galeries plus grandes afin de retrouver de l’oxygène, rare à un niveau aussi bas. Quelle vie ! Nous lui offrons des bâtons de dynamite qu’il utilisera dès ce soir, puis quittons cet endroit. Tous les jours , il fait exploser les parois de sa galerie en espérant trouver des minerais. Une fois la mèche allumée, il a 5 minutes pour quitter l’endroit avant que la dynamite n’explose ! De nombreux accidents ont déjà eu lieu...

Notre guide nous explique que la mine est une coopérative et que, pour pouvoir toucher une retraite ou une pension (en cas d’accident ou d’invalidité), il faut être membre. Pour pouvoir devenir membre, il faut avoir travaillé comme assistant d’un autre membre pendant 3 ans, puis verser un droit d’entrée de 2000 bolivianos (200 euros !). Le problème est que de plus en plus de jeunes mineurs ne comptent pas faire carrière dans la mine et ne sont pas décidés à devenir membres, alors que bien des fois, ils travaillent depuis beaucoup plus de 3 ans...

Les galeries sont étroites car on creuse pas plus que nécessaire
Les galeries sont étroites car on creuse pas plus que nécessaire

Du coup, ils n’ont aucune assurance en cas d’accident grave ou de maladie telles que la silicose, alors qu’ils sont parfois chefs de famille nombreuse (la moyenne étant de 6 ou 7 enfants !).

Notre accompagnateur nous raconte comment l’histoire de son père l’a dissuadé de devenir à son tour mineur. Après un accident sérieux mais pas fatal, son père eut tellement peur qu’il décida par tous les moyens d’arrêter son activité et de toucher une pension en tant que membre de la mine. Il soudoya un médecin (la corruption est un sport national en Bolivie) pour que celui-ci lui diagnostique une atteinte des poumons à plus de 50 %, seuil minimal pour obtenir une pension. Comme la coopérative le permettait, il décida de continuer quelque temps à travailler dans la mine tandis qu’il touchait sa pension. Malheureusement, il fut victime d’un nouvel accident qui lui fut fatal... Cette histoire nous a beaucoup émus et touchés ! Cette mine est vraiment un enfer... D’ailleurs, notre guide, qui y passe 4 heures par jour à des fins touristiques, nous confie qu’il se sent exposé aux mêmes risques de santé et cherche une alternative pour le futur. Je le comprends très bien...

Une des nombreuses façades coloniales de la ville
Une des nombreuses façades coloniales de la ville

Nous remontons péniblement les différents niveaux, retrouvant peu à peu la fraîcheur extérieure et une certaine facilité à respirer... Mes dents sont noires à cause des feuilles de coca mâchées durant plus de 3 heures, mon visage est tout poussiéreux et ma gorge tellement sèche... Je dois faire peur à voir ! Et pourtant, je n’ai passé « que » 3h30 dans cette mine ! Imaginez ces pauvres mineurs qui y passent leur vie... Cette expérience fut un véritable choc émotionnel pour Michaël et moi ! Je ne m’imaginais pas que de telles conditions de vie puissent encore exister de nos jours... C’est vraiment terrible ! Je suis contente d’avoir tenu le coup jusqu’au bout, même si ça n’a pas toujours été facile, bien au contraire... J’ai pu voir de mes propres yeux l’un des métiers les plus difficiles qui aient jamais existé et me rendre compte par moi-même de l’atrocité de leurs conditions de travail. Un seul mot me vient à l’esprit en ce moment : Germinal !

Nous voyons enfin le bout du tunnel arriver... Nous sommes littéralement aveuglés par les rayons du soleil qui nous éblouissent. Ca fait un bien fou de se retrouver de nouveau à l’air libre... Les pauvres mineurs, quant à eux, ne doivent pas beaucoup voir le soleil... Notre guide nous fait ensuite une démonstration d’explosion de dynamite a l’air libre dans le champ d’a côté. L’explosion est plutôt violente et me fait bien sursauter ! Impressionnant... Toutefois, les explosions sont moins fortes sous terre a cause du manque d’oxygène. L’excursion est à présent terminée... Nous rendons le matériel à l’agence et regagnons vite notre hôtel afin de prendre une bonne douche... Ce n’est vraiment pas du luxe en ce qui me concerne ! J’ai rarement ete aussi sale qu’aujourd’hui !

Nous retrouvons ensuite Johnny vers 17h pour manger un morceau ensemble, car encore une fois, nous avons zappé de déjeuner avec tout ça ! Nous nous écroulons ensuite dans nos lits pour une petite sieste réparatrice qui se transforme rapidement en une nuit complète... Nous n’avons même pas le courage d’aller dîner ! Tant pis, nous nous rattraperons demain. Bonne nuit !

Michaël , Eve-Laure

Site réalisé avec SPIP
Design et Contenu © 2004-2007 : Eve-Laure et Michaël