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Premiers contacts avec les hommes fleurs à Madosap

Le 16 mai 2007,

La nuit fut un peu bruyante. Hier soir, une grande fête avec un grand karaoké au programme s’est déroulée à quelques mètres de notre chambre. Les basses ont raisonné durant un moment à nos oreilles, suivies des mosquées qui ont pris le relais. Malgré tout ce vacarme, la fatigue a été la plus forte et je m’endors sans trop de difficulté.

Nous nous réveillons vers 7h avec le bruit des premières motocyclettes. Ca nous laisse le temps de préparer nos affaires tranquillement. Tous mes vêtements sont secs et l’odeur de poisson a quasiment disparu à part dans mon gros sac à dos. Je l’ai pourtant frotté énergiquement hier à l’aide d’une brosse et de savon, mais rien n’y fait, c’est imprégné… Nous ne prenons que le strict nécessaire pour huit jours, tout doit tenir dans notre petit sac à dos ; nous laisserons le gros à l’hôtel. Nous ne prenons qu’un pantalon, un tee-shirt de rechange et quelques sous-vêtements, ainsi que notre sac de couchage, notre moustiquaire, des sprays anti-moustiques, nos médicaments contre le paludisme, un k-way et nos sandales. Etrangement, tout rentre dans nos petit sacs à dos en serrant bien. Nous prenons aussi quelques cadeaux que nous avons achetés à Parapat à cet effet. Nous voilà prêts pour le départ !

Kornelius nous attend devant notre hôtel et nous partons ensemble à travers le village. Il nous emmène d’abord chez lui où il a quelques affaires à prendre. Nous faisons la connaissance de sa femme, sa fille, son fils et son nouveau-né de 9 mois. Sa maison est vraiment simple et manque cruellement d’hygiène. Sa femme est très jolie avec des cheveux remarquablement beaux et brillants qui contrastent sévèrement avec des habits tâchés et déchirés ainsi qu’avec le reste de l’habitat désordonné et sale.

Une fois les derniers préparatifs achevés, nous partons embarquer dans une petite barque à moteur. Entièrement sculptée dans un seul tronc d’arbre, cette petite embarcation typiquement Mentawaï, longue d’une dizaine de mètres, est un chef d’œuvre. Nous voguons sur une petite rivière boueuse serpentant à travers la forêt de palmiers et autres arbres exotiques. Elle se sépare régulièrement en plusieurs embranchements, c’est un vrai labyrinthe ! Les paysages sont superbes, j’ai l’impression de m’enfoncer au cœur d’une contrée sauvage et inconnue. Je me prends pour une exploratrice en quête de découvertes et d’aventures ! J’adore… Jamais lors de notre long voyage d’il y a deux ans, nous ne sommes partis aussi loin des sentiers battus et pour une aussi longue durée ! Je suis vraiment excitée à l’idée de ce qui nous attend dans ces tribus Mentawaïs, appelé aussi hommes fleurs à cause des ornements floraux qu’ils s’accrochent dans les cheveux.

Après 1h30 de navigation, nous arrivons dans un petit village qui ne constitue qu’une étape pour nous. Le temps de charger les porteurs, notre guide nous fait goûter les « jack fruits », des fruits exotiques savoureux. Nous partons ensuite à pieds à travers la forêt. Le trek est très différent de celui effectué à Bukit Lawang dans la jungle. Tout d’abord, la forêt est moins dense, sans liane ni bruits d’animaux étranges. Le terrain est plat, ce qui pourrait faciliter l’avancée, sauf que le sol est totalement boueux… Nous nous enfonçons dans la terre jusqu’aux chevilles, nos chaussures de randonnée sont méconnaissables. Des fois, certains troncs d’arbre sont censés nous éviter de marcher dans la boue, sauf que tenir en équilibre sur un simple rondin de bois n’est pas un exercice facile pour nous Occidentaux. Notre guide marche pieds nus sans aucune difficulté… Il nous a donné un grand bâton à chacun pour nous aider à tenir sur les rondins. Des fois, il faut carrément franchir un ravin, debout sur un tronc d’arbre ! Là, nous ne faisons pas les fiers, nous n’avons pas le droit à l’erreur… Nos chaussures sont devenues glissantes à cause de la boue qui s’est infiltrée partout… Nous prenons notre temps pour traverser, les risques de chute sont importantes et le moindre faux pas peut nous être fatals ! Comme dit Michaël, certaines femmes sont conquises si on leur offre une rivière de diamants, moi il faut « juste » m’emmener au milieu de la forêt, patauger dans la boue, franchir des fossés en équilibre sur des troncs d’arbre et aller à la rencontre de peuples primitifs qui ne possèdent ni l’électricité, ni l’eau courante, mais qui sont en harmonie avec la nature… Là, je suis la plus heureuse des femmes !

Nous arrivons finalement devant une grande maison familiale sur pilotis faite de bois et de feuilles séchées pour le toit. Des porcs et des poulets vivent sous la maison profitant des ordures jetées à travers les interstices du plancher. Korne (surnom de notre guide) nous présente à la famille vivant ici. Ce sont des Mentawaïs habillés à l’occidental sauf que leurs vêtements sont tout déchirés et tâchés, ce qui leur donne un air un peu misérable. Nous apprenons que nous sommes dans une « Uma », une maison familiale regroupant d’habitude plusieurs familles. Mais ici, la maison n’appartient qu’à une seule famille. Korne nous présente au chef de famille ainsi qu’aux autres membres. Ils ont tous l’air très gentil et nous accueillent avec de grands sourires bienveillants auxquels il manque quelques dents. Korne nous apprend qu’un mariage aura lieu ici samedi prochain et nous demande si nous voulons rester dans cette famille afin d’y assister. Tous les habitants de la région vont venir y assister, ce sera l’occasion pour nous de voir beaucoup de monde et d’assister à une grande cérémonie Mentawaï. Nous acceptons avec plaisir. Plusieurs personnes sont présentes aujourd’hui en plus de la famille en vue de cet éminent mariage qui se prépare.

Korne nous parle de leur culture et de sa vie. Sa famille est mentawaï et ses parents vivent toujours dans la forêt. Son frère est mort jeune d’une maladie inconnue et lui a fait promettre avant de mourir de tout faire pour devenir guide, puisque lui ne pourra jamais assouvir son rêve. Korne est parti à Bukitinggi afin de travailler tout d’abord comme porteur, puis comme cuisinier dans des expéditions organisées pour les touristes. Petit à petit, il a appris l’anglais au contact des clients. Il s’est finalement aperçu que les guides de Bukitinggi racontaient un peu n’importe quoi aux touristes à propose de la culture mentawaï puisqu’ils étaient Minangs et non Mentawaïs comme lui. Il s’est finalement mis à son compte en tant que guide, ce qui n’pas du tout plu à ses concurrents vu qu’il était souvent choisi par les touristes grâce au bouche à oreilles. Il est finalement revenu sur Siberut exercer son métier, l’ambiance entre les guides étant bien meilleure. Son père l’encourage à continuer ce métier qui permet de divulguer la véritable culture mentawaï aux étrangers, même s’il ne gagne pas beaucoup d’argent, les touristes se faisant rares sur Siberut. Son histoire nous touche, je suis contente finalement d’être partie avec lui pour ce trek. Le destin ne nous a pas trompés…

Plusieurs os crâniens sont accrochés un peu partout dans la hutte. Korne nous explique qu’avant de tuer un animal pour le manger, les hommes de la tribu demandent l’autorisation à son esprit. Ils gardent ensuite le crâne afin de se souvenir de lui. Ils ne prennent pas une vie animale sans bonne raison ! Des crânes d’animaux sauvages sont accrochés d’un côté de la maison : biche, singe et les animaux domestiques se situent à l’autre bout : porc, poulet… Bizarrement, ces ornements n’ont rien de macabre et font tout simplement partie du décors.

Un homme assez âgé, habillés juste d’un pagne qui cache uniquement son sexe et lui rentre dans les fesses à l’instar d’un string, entre à son tour dans la maison. Il porte plusieurs colliers et une espèce de diadème de perles sur la tête. Il s’agit en fait d’un chaman très respecté ici. Pour devenir chaman, il faut savoir lire, écrire, chanter, danser et connaître la médecine des plantes. Bizarrement, il a l’air beaucoup plus crédible et respectueux à moitié nu que ses compatriotes affublés de vêtements crasseux et troués. Ironiquement, ce sont les gens qui sont allés à l’école qui ont appris qu’il fallait s’habiller quotidiennement. Clairement, ils seraient mieux nus que portant ces haillons sans hygiène associée. C’est terrible !

Un autre chaman arrive un peu plus tard portant le même pagne rouge caractéristique mais couvert de tatouages en spirales sur tout le corps. On nous apprend que lorsqu’un Mentawaï meurt, la seule chose qu’il peut emporter avec lui dans l’au-delà, ce sont ses tatouages… C’est pourquoi il en a sur tout le corps. D’autres personnes arrivent sans cesse, tandis que d’autres repartent… Les gens viennent aussi parce qu’ils savent que Korne est là avec des cadeaux pour tout monde, financés par nous au passage… Notre guide offre principalement des paquets de cigarettes, c’est fou comme ils fument tous sans interruption !

Korne nous prépare le déjeuner : du riz avec des légumes bouillis qui nous calent pour la journée. Dans l’après-midi, des femmes arrivent portant sur leur dos un panier entièrement tressé avec des herbes sèches rempli de légumes. Leur chargement a l’air bien lourd, elles ont sûrement fait des kilomètres dans la forêt avec ça sur le dos ! Lorsque les premiers colons ont découvert cette île et ses habitants, ils ont trouvé des tribus restées à l’âge de pierre. Ils ne connaissaient pas le métal, tous leurs outils étaient en pierre ou en os et leurs ustensiles de cuisine, en feuille de bananier séchées ou en bambous.

En milieu d’après-midi, la pluie commence à tomber sur notre grande hutte suivie d’un violent orage tonitruant qui obscurcit le ciel en un instant. Tout le monde sursaute en entendant l’éclatement soudain du tonnerre juste au-dessus de nous ! Nous ne pouvons donc pas sortir, nous nous contentons d’observer nos nouveaux amis… Les jeunes femmes sont toutes extrêmement jolies, mais nous sommes surpris par leur jeunesse, alors qu’elles sont quasiment toutes mariées avec des enfants. La future épouse de samedi prochain n’a que 13 ans ! Les jeunes mères présentes ne doivent pas être beaucoup plus vieilles… Les jeunes hommes non plus d’ailleurs. Ils sont également très séduisants lorsque l’abus de cigarettes ne leur a pas encore pourri les dents… Les travaux manuels les rendent bien musclés ! Des femmes plus âgées, d’environ quarante ans, allaitent également leur dernier né, il n’y a pas d’âge pour avoir des enfants ici ! Mère et fille peuvent être enceintes en même temps sans aucun problème… Le chaman a quand même 8 enfants !! Nous sommes une bonne quinzaine dans la hutte et tout le monde s’occupe un peu des enfants de chacun. On a du mal à savoir qui sont les vrais parents.

De temps en temps, les femmes vont chercher de l’eau dans la rivière d’à côté à l’aide de grands seaux, mais l’orage a fait considérablement gonfler le filet d’eau claire et l’a rendu boueux. Mieux vaut attendre une accalmie. Pendant ce temps, les hommes, assis sur des bancs de fortune dans la pièce principale, parlent entre eux un langage inconnu aux sons étranges. Seuls les plus âgés discutent entre eux, les jeunes se contentent d’écouter ou bien s’occupent des plus petits lorsque leur mère travaille à la cuisine où sont regroupées toutes les femmes. Deux gros foyers se situent dans la pièce la plus sombre où les feux sont entretenus sans interruption. Il n’y pas de cheminée, la fumée s’enfuit par la petite porte de derrière.

Korne nous demande si nous voulons du poulet pour ce soir, il faut alors payer un petit supplément afin d’acheter les volatiles à la famille. Nous acceptons et assistons à la mise à mort de deux poulets qui n’ont pas l’air de comprendre ce qu’il se passe. On leur casse le cou d’un mouvement sec, mais ils continuent de bouger par la suite. Le spectacle est un peu difficile à regarder pour ma part. Ils les font ensuite griller sur le feu afin d’enlever les plumes. Et dire qu’ils ont été tués pour nous ! Le voir en direct fait toujours plus d’effet, même si c’est forcément toujours le cas lorsqu’on déguste du poulet où qu’on soit… En tous cas, ça sent bon et recouvre, à notre grande satisfaction, les déjections des porcs en dessous de nous.

Les hommes discutent toujours entre eux de manière engagée, nous demandons à Korne de quoi ils parlent depuis une heure. Notre guide nous explique que certaines compagnies d’exploitation forestière peu scrupuleuses ont monté des escroqueries en abusant de la crédibilité des populations locales : elles ont commencé par faire des dons aux Mentawaïs, puis ont attendu que ces derniers ne puissent plus rembourser pour prétendre qu’il s’agissait d’un accord financier ouvrant le droit à l’exploitation de leurs terrains. Ces pratiques sont inquiétantes car elles menacent la culture Mentawaï et augmentent très sensiblement les risques d’inondation (comme à Bukit Lawang). Elles sont pour l’instant localisées dans le nord de l’île de Siberut mais Korne pense que cela va rapidement s’étendre à toute l’île. Les personnes abusées ont bien sûr essayé de protester en cherchant l’aide du gouvernement et surtout des élus locaux, mais en vain : ceux-ci sont corrompus jusqu’à la moelle par les compagnies responsables alors qu’ils sont eux-mêmes Mentawaïs. Ils représentaient pourtant un espoir pour les locaux. Korne en a les larmes aux yeux. Nous aussi…

La femme du chaman s’assied à côté de moi pour essayer de discuter ensemble, mais elle ne parle pas un mot d’anglais et je ne connais pas le mentawaï… Malgré tout, cette marque d’affection me va droit au cœur et nous communiquons grâce aux gestes et à nos sourires. Je la suis à la cuisine où les femmes sont en train de préparer du « sagu », une spécialité mentawaï faite à partir de bois râpé à l’aide d’une brosse à clous. Elles enroulent ensuite les fins copeaux dans des feuilles qu’elles font cuire sur le feu. Le goût ressemble un peu à la saveur du pain, en plus fade quand même.

La nuit commence à tomber, ils allument une grosse lampe à pétrole qu’ils accrochent au plafond. Elle éclaire toute la pièce avec efficacité. Nous nous asseyons ensuite par terre afin de déguster notre fameux poulet frit accompagné de frites. Comme à la maison ! Bon, les frites n’ont pas tout à fait le même goût quand même… Une longue discussion reprend après manger entre les sages de la maison. Ils disposent des bâtons devant eux et ont l’air vraiment sérieux. Nous apprenons qu’ils discutent de la dot de leur future belle fille. La famille du jeune homme soit « acheter » la future femme et ils sont tous en train de discuter du prix à payer. La belle famille demande un prix beaucoup trop élevé (30 millions de roupies soit environs 2400 euros) alors que le prix normal est d’à peu près 10 millions de roupies (soit 800 euros), ce qui est déjà énorme pour une famille Mentawaï. Si les deux familles n’arrivent pas à se mettre d’accord, il n’y aura pas de mariage samedi ! Espérons qu’ils trouvent un terrain d’entente.

Nous tombons de fatigue Michaël et moi et finissons par demander à aller nous coucher. Nous nous mettons dans un coin de la grande pièce commune, étendons notre moustiquaire au-dessus d’une paillasse en roton et nous couchons à même le sol, enveloppés dans notre fin sac de couchage. Le sol est bien dur, mais bon, nous ferons avec. Nous nous endormons au son des discussions animées de nos amis qui ont l’air bien partis pour parler toute la nuit !

Michaël , Eve-Laure

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