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Mariage ou carnage ?

Le 19 mai 2007,

Tout le monde est levé avant même qu’il ne fasse jour ce matin. Ils ne dorment jamais ces gens-là ? Après le petit-déjeuner, nous poireautons un moment en nous tournant les pouces. Korne est distant avec nous, nous ne comprenons pas pourquoi… On commence vraiment à s’ennuyer ici ! Je suis un peu déçue, j’attendais tellement de cette rencontre avec les Mentawaïs !

Nous passons le temps en regardant les femmes nourrir leur bébé au sein ou bien mâcher la viande jusqu’à en faire une sorte de purée qu’elles mettent dans la bouche de leurs enfants ensuite. Les systèmes de couches pour bébés n’existent pas ici et les plus jeunes font leurs besoins sur le plancher où tout le monde marche, mange et dort… Parfois, un coup de balai est donné et la saleté est évacuée dans le trou d’une planche du plancher qu’on soulève. L’hygiène n’existe pas ici et ça commence à nous peser un peu à Michaël et à moi (pourtant, il m’en faut beaucoup pour être écoeurée de ce point de vue là habituellement !).

Finalement, Korne nous annonce que nous partons en forêt chercher des gros vers pour les manger. Ca promet ! Au moins, ça nous fera sortir un peu… Nous partons Korne, Tonton chaman, un autre Mentawaï, deux femmes et nous, à travers la dense forêt. Nous cherchons d’abord les arbres à arbouses afin de remplir de fruits les paniers des femmes. Malheureusement, les arbres que nous croisons ont déjà été pillés par des voisins. Nous continuons donc notre chemin en nous enfonçons davantage sous la canopée. Nous trouvons un arbre à fruits exotiques dont la saveur ressemble un peu à du citron. Nous prenons quelques minutes afin de savourer ces vitamines que nous offrent la nature. Michaël s’aperçoit alors qu’une sangsue est en train de grimper sur sa jambe. Notre guide la lui enlève sans mal à la main.

Nous arrivons ensuite dans la maison des voisins aux enfants joueurs d’hier. Nous nous reposons quelques instants avant de repartir juste avec un Mentawaï et Korne à la recherche de ce fameuses limaces. Le Mentawaï taille à l’aide d’une hache le tronc d’un arbre à sagu mort et prélève un par un de gros vers visqueux. Korne en avale un ou deux devant nous tout crus… Beurk ! Notre guide est de nouveau disponible pour nous, ça nous fait bien plaisir ! Nous discutons et plaisantons ensemble tandis que notre ami Mentawaï s’active à chercher ses limaces. Il en récupère une bonne dizaine puis nous revenons dans la maison du voisin. Tandis qu’ils font griller ces charmantes bébêtes au feu de bois, nous jouons avec les enfants en les regardant faire les fous dans leur piscine de boue. On nous appelle ensuite pour goûter ce met étrange. Je tente la demi limace cuite pour leur faire plaisir alors que Michaël reste réfractaire. Ce n’est pas mauvais en fin de compte ! Le goût ressemble un peu à celui d’une crevette… Michaël, voyant que je ne m’évanouis pas de dégoût, teste à son tour. Quelle drôle d’idée de manger ces bestioles tout de même ! Korne nous explique qu’elles permettent d’apporter des vitamines difficiles à trouver dans la jungle.

Nous repartons tous ensuite en direction du bercail et tombons en chemin sur des arbres à arbouses. Nous admirons le jeune Mentawaï grimper à l’arbre juste à l’aide des ses pieds nus et de quelques encoches qu’ils taillent dans le tronc. En deux minutes, il se trouve en haut de l’arbre et fait tomber les fruits que les femmes ramassent et déposent dans leur panier en osier. Nous les aidons à récupérer les arbouses mais nous sommes vite obligés d’arrêter, nous sommes véritablement attaqués par une armée de fourmis qui nous piquent la peau. Nous en sommes recouverts des pieds à la tête et ça n’a vraiment rien d’agréable !! Elles se faufilent partout ces saletés bestioles… L’une des femmes se déchargent ensuite de son lourd fardeau envers Michaël qui se retrouve avec un plein panier sur les épaules. Nous rentrons ensuite apporter notre cueillette à la famille qui s’en régale. Pendant ce temps, nous allons faire un saut dans la rivière, nous sommes couverts de boue jusqu’aux oreilles !

A présent, il ne reste plus qu’à attendre la venue des mariés qui sont partis se préparer dans la famille de la jeune fille. Pour passer le temps, Michaël apprend aux hommes de la maison un jeu avec des cailloux. Ils se prêtent au jeu et tout le monde s’amuse bien ! L’ambiance est détendue, c’est agréable aujourd’hui. Tonton chaman essaie de nous apprendre une chanson en mentawaï, mais nous avons toutes les peines du monde à nous souvenir des paroles. En tous cas, je ne me lasse pas de l’écouter chanter. Ses paroles semblent venir d’une autre époque, d’un autre temps. Il a l’ai de communiquer avec la nature entière lorsqu’il chante, c’est très impressionnant.

La pluie commence à tomber, ce qui complique un peu les choses pour le mariage. Les mariés viennent de loin et seront habillés en tenue traditionnelle qui risque d’être abîmée par la pluie. Mais nous les voyons arriver quelques minutes plus tard, protégés par des parapluies. Les mariés, ainsi que la mère du jeune homme portent de magnifiques couronnes de fleurs et sont maquillés avec de la peinture sur le visage. Ils portent un haut de couleur blanche et une jupe colore pour les femmes. Ils sont superbes mais font une tête d’enterrement ! Korne nous assure que ce n’est simplement pas la tradition ici de s’obliger à sourire, mais qu’ils ne sont pas malheureux pour autant. Ils sont juste extrêmement fatigués par leur aller et retour dans la maison de la belle famille qui se situe à plusieurs kilomètres d’ici. De plus, la tradition veut que les mariés, ainsi que leurs parents, ne mangent pas de la journée jusqu’à ce que le mariage soit consacré. Il y a de quoi ne pas avoir l’air joyeux avec tout ça !

Ils restent tous les trois assis par terre sans bouger, tandis que tout le monde continue de vaquer à leurs occupations. Encouragés par Korne, nous les mitraillons de photos. Ils sont tout contents de se voir sur l’écran de l’appareil après ! Les enfants des voisins sont venus également et nous jouons ensemble avec des cailloux. L’un d’entre eux est particulièrement intelligent et comprend tout de suite la logique du jeu de stratégie. Dire qu’il ne va même pas à l’école… Nous voyons ensuite une horde d’hommes arriver portant chacun un porc sur le dos. Il y a au moins cinq énormes cochons, donc certains sont déjà morts, qui s’accumulent les uns après les autres sur le perron…

Les hommes disposent alors de grandes feuilles sur le plancher de la pièce principale afin de le protéger un peu et entreprennent une véritable séance de boucherie avec tous ces porcs. Certains y vont même à la hache afin de couper les os ! Des bouts de viande volent dans toute la pièce, je m’en récupère même sur le bras de temps en temps. Le sang gicle, les entrailles sont arrachées de la carcasse encore fraîche du cochon avant d’être débitées en petits morceaux. De magnifiques jambons sont massacrés, c’est un véritable carnage… J’ai vraiment du mal à supporter ce spectacle peu ragoûtant. Ils partagent ensuite chaque morceau équitablement pour chaque famille. Chacun reçoit un morceau d’intestin, de viande, de graisse… Les différents tas de viande et d’entrailles sont ensuite glissés dans des bambous et cuits sur le feu.

Les grandes feuilles servant à protéger le sol sont ensuite enlevées dans ménagement, laissant le sang couler sur les planches. Je dois aller aux toilettes, ma vessie ne tenant plus et je me fais violence pour marcher pieds nus parmi ces bouts de chairs sanguinolentes et ce sang poisseux. Je ne suis pas loin d’avoir la nausée… Je ne me sens vraiment pas dans mon assiette. Il reste un énorme cochon vivant à dépecer encore. Lorsqu’il sent la mort toute proche, il pousse un hurlement atroce en ouvrant un œil exorbité. Mes poils se hérissent d’effroi, je n’en peux plus, c’en est trop pour moi… Je me réfugie au fond de la pièce en attendant sans bouger que la boucherie cesse.

Une fois les bambous cuits, Korne nous présente une pleine assiette de viande de porc agrémentée de purée de pomme de terre à la noix de coco. Je me force à en manger un morceau, sans appétit. Je crois que je préfère jeûner ce soir… Tout le monde marche pieds nus dans cette mare de sang, je ne préfère pas regarder. Je me couche sans plus tarder, trouvant cette bonne excuse pour me soustraire au spectacle. On étend notre moustiquaire sur l’un des rares endroits « propres » du plancher. Je m’y sens symboliquement protégée de la saleté du dehors. Bonne nuit !

Eve-Laure

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